Bonjour, je m’appelle Mélany William, j’ai 32 ans et je vis en Seine-Saint-Denis. Je travaille dans le marketing, et j’ai aussi écrit un premier roman.
Je suis née dans le 93, j’y ai passé mon enfance, et j’y habite toujours. Je suis une vraie banlieusarde, pourtant, au collège, je n’avais qu’une envie : fuir le plus loin possible ce département. Pourtant, il m’a beaucoup appris et a forgé mon ouverture sur le monde, ma curiosité, et m’a apporté une grande partie de mes influences culturelles.
Lire la suite: Mélany, fille de martiniquais arrivés à Paris au début des années 70De quel territoire caribéen es-tu originaire ?
Mes parents sont tous les deux martiniquais. Ma mère est née et a grandi au Robert, à l’est de l’île, et mon père est de Saint-Joseph, une commune du centre.
Quelle est ton histoire familiale ?
Mes parents se sont rencontrés ici, en Ile-de-France, en 1973, par le biais d’une connaissance commune. Mon père était chanteur dans un groupe de musique antillaise (un “orchestre” comme il dit) qui s’appelait les Black Angels. Ma mère l’a entendu chanter et je crois que c’est comme ça que la magie est née.
Tous les deux étaient arrivés dans l’Hexagone depuis peu (quelques mois pour mon père, et 4 ans pour ma mère). Ils ont encore le souvenir du froid glacial de leur premier hiver en région parisienne.

Mon père me raconte que ce qui l’a aussi beaucoup surpris, c’était le rythme des passants qui marchaient à vive allure sans raison particulière dans la rue. Lui qui venait de sa paisible campagne, il ne comprenait pas pourquoi les gens étaient si pressés à Paris. Maintenant, c’est lui qu’on ne peut plus suivre tellement il marche rapidement !
Pour ma mère, c’était de voir pour la première fois des feuilles tomber des arbres en automne qui l’a marquée peu après son arrivée.
Les premières années en Ile-de-France, ils sortaient beaucoup, qu’entre jeunes antillais. Ils avaient une grande bande de copains, nés au pays, comme eux, et une vie sociale hyper animée.
Les uns invitaient les autres, malgré l’étroitesse de leurs petits appartements.
Ma mère m’a par exemple raconté les dîners dans la minuscule chambre de bonne de sa copine sous les toits de Paris, où l’on entendait les portes qui claquent des autres locataires, et où il fallait utiliser les toilettes communes sur le palier.
Et puis, ils se réunissaient pour célébrer l’ensemble des fêtes du calendrier, en apportant chacun quelque chose. Par exemple, l’une disait “ je ramène un matoutou de crabes” et l’autre disait “ je peux préparer une tarte”, et tout le monde participait.
Ça me fait souvent réfléchir à quel point la gastronomie joue un rôle essentiel au maintien de la culture antillaise sur le sol hexagonal et combien se réunir autour d’un plat de chez soi est un véritable réconfort pour ceux qui vivent loin des leurs.
C’était donc essentiel de recréer, même inconsciemment, ces rituels de grandes tablées où l’on se retrouve pour déguster un plat traditionnel.

La Caraïbe est composée de diverses migrations humaines (indigènes, africains, européens, asiatiques, arabes). Sais-tu de quelle communauté descends-tu ?
J’ai très récemment fait un test pour connaître mes origines ethniques, et je suis majoritairement nigériane. Puis j’ai un faible pourcentage de sang kenyan et d’Europe de l’Est. Mais le test manquait vraiment de précision, donc j’aimerais retenter la recherche, et découvrir de quelles ethnies je descends par exemple.
Comment as-tu vécu avec ses racines caribéennes ? Tes parents, t’ont-ils transmis leur culture antillaise ? Si oui, de quelle manière ?
J’ai eu la grande chance d’avoir des parents qui nous ont transmis la culture martiniquaise à tous les niveaux : avec les voyages en Martinique, la musique, la cuisine, la langue créole, et les souvenirs et anecdotes de leur enfance.


Mes parents nous ont toujours parlé créole. C’est très naturel pour eux parce que c’est simplement leur langue maternelle.
Ils s’exprimaient entre eux et avec nous en créole, et on leur répondait en français.
Puis avec l’âge et l’assurance, j’ai commencé à leur répondre en créole, et depuis, on échange majoritairement en créole.
Je me souviens que, petite, en vacances en Martinique, les gens se moquaient beaucoup de mon accent, même quand je parlais juste français. Donc je n’avais absolument pas le courage de m’essayer au créole face à eux.
À l’adolescence, en 2003, j’ai voulu tenter l’expérience devant des adultes, et l’un d’entre eux a répété ce que je venais de dire en créole avec un accent français hyper exagéré. Tout le monde s’est esclaffé, et je n’ai jamais reparlé créole en Martinique avant 2019.
Je soupçonne mon père d’avoir l’âme d’un griot. Il raconte sans cesse ses souvenirs d’enfance, les bêtises avec ses copains du quartier, sa vie d’écolier très pauvre, les corvées du matin, ses voisines battues par leur mère, la complicité sans faille entre frères et sœurs.
Quand on va ensemble en Martinique, on aime beaucoup revenir sur les lieux qui ont marqué sa vie : le bourg de Saint-Joseph, l’emplacement de sa maison d’enfance construite avec du sable récupéré la nuit, son école pour garçons, ou la maison de sa marraine, qui l’a aimé comme son fils.
Ma mère, elle, parle peu mais adore cuisiner. C’est la chef étoilée de la famille. Avant, on venait souvent lui demander ses recettes. Elle est toujours aux fourneaux à préparer plats et pâtisseries : chiquetailles de morue, court-bouillon de poisson, colombo de poulet, coq au vin créole, accras, pain au beurre, mont blanc, les pâtés coco.
J’ai été très vite habituée à la gastronomie antillaise, et ça a été un lien très fort avec la Martinique. Quand on y revenait pour les congés bonifiés, je connaissais toutes les spécialités.
As-tu où as-tu eu des liens avec tes grands-parents ?

On passait les vacances chez mes grand-parents maternels au Robert, lors des congés bonifiés tous les 3 ans. Malheureusement, ma grand-mère maternelle est décédée quand j’avais 4 ans, et mon grand-père maternel lorsque j’avais 11 ans.
Je me souviens quand même beaucoup d’eux : je revois leurs visages, leur démarche, la posture de mon grand-père, assis sur son siège, son chapeau, ses lunettes, ses vêtements et ses sandalettes en cuir.

Je n’ai jamais connu mon grand-père paternel, décédé quand j’étais bébé.
J’ai très bien connu ma grand-mère paternelle, qui habitait elle aussi dans le 93 depuis les années 70. Avec mes frères et sœurs, j’y passais tous les mercredis, devant les Feux de l’Amour (ou Amour, Gloire, et Beauté), et un plat de purée qu’il fallait finir sans faire de caprices. C’était drôle de se retrouver ensemble dans son appartement, parce qu’on pouvait emprunter tous les bibelots et objets de ma grand-mère et jouer avec. J’aimais particulièrement sa chaise à bascule.

Comment préserves-tu et comment vis-tu ton héritage martiniquais au quotidien ?
J’ai l’opportunité de parler créole avec les membres de ma famille au quotidien, et ça, c’est un luxe qui me permet de ne pas perdre cet héritage culturel très important pour moi.
Ensuite, j’écoute beaucoup de musique antillaise (bèlè, kadans, zouk rétro, zouk, ragga), surtout des classiques des années 70 à 2000. Et c’est la musique qui me fait voyager en un clic vers la Martinique, retrouver les sons zouk love de mon enfance par exemple, ou découvrir plein d’artistes du patrimoine traditionnel.
Sur Instagram, je suis aussi beaucoup de comptes liés à la pop culture antillaise, à la langue créole, et aux histoires ultramarines, comme Histoire Caraïbe. ❤️
Ça me permet de rester connectée à la culture antillaise contemporaine, de partager des infos avec mes potes et la famille, et de rencontrer d’autres personnes qui ont la même histoire.
Quelle est la dernière fois où tu t’es rendu en Martinique ?
La dernière fois que je me suis rendue en Martinique, c’était en mai dernier, pour fêter l’anniversaire de ma mère et la fête des Mères la même semaine.
Elle vit la moitié de l’année là-bas, et je lui ai fait la surprise de venir.
On a passé une semaine de folie, à parcourir la Martinique pour découvrir ses trésors comme la plage paradisiaque du Cap-Chevalier ou la secrète Mangrove rose.
As-tu eu l’occasion de découvrir d’autres territoires caribéens ?
Je suis allée 2 fois en Guadeloupe lorsque j’étais petite, mais j’ai très envie de voyager à travers la Caraïbe, à commencer par Sainte-Lucie !

Mélany 🌹