Tout commence il y a plusieurs semaines, lorsque ma chère belle-soeur Inès, me partage une vidéo Tik Tok. Je reçois le message sur Whats app et elle me dit que cette vidéo pourrait m’intéresser dans le cadre d’Histoire Caraïbe.
Ce Tik Tok était une vidéo qui a été réalisée par Emily Flory, une jeune caribéenne de 24 ans. Cette vidéo était un récapitulatif de l’histoire de ses grands-parents, Roisier qui était un homme noir de Martinique, et Bui-Thi-Dam une femme d’origine vietnamienne. En l’espace de quelques secondes, je suis conquise par toutes ces anciennes photographies qui avaient été regroupé dans le montage.
On pouvait y apercevoir ses grands-parents jeunes, à différentes étapes de leur vie, mais aussi leurs enfants. Sans plus trop attendre, je décide de la contacter, afin que je puisse en savoir davantage sur cette histoire.
L’article sera scindé en deux parties, car Emily répondra aux premières questions, tandis que sa maman Joséphine, a donné son point de vue dans un deuxième temps.
En effet, lorsque j’ai proposé à Emily d’aborder son histoire familiale, elle m’a proposé d’inclure une de ses tantes ou sa maman, afin qu’il puisse y avoir deux regards. Finalement ce sera sa maman, qui donnera son point de vue sur son métissage et l’histoire de ses parents.
Pour celles et ceux qui l’ignorent, lors des différentes guerres mondiales et/ou étrangères, la France a déployé de nombreux soldats, originaires de ses anciennes colonies (Afrique, Antilles, Asie, Maghreb). Beaucoup de ses hommes ont alors voyagé selon les différentes zones de guerres, et ont eu des parcours de vie conséquents.
Pour ma part, j’avais souvent entendu parler de soldats africains ayant épousé des femmes allemandes ou asiatiques durant les divers conflits mondiaux. Mais je n’avais jamais entendu parler de ces soldats antillais, qui ont eu à construire leur vie à travers ces tragédies.
Aussi, je tiens à préciser qu’il existe plusieurs communautés asiatiques (indiens, chinois, japonais, vietnamiens) qui sont établies aux Antilles françaises depuis la fin des années 1850. Ces derniers étant arrivés après l’abolition de l’esclavage, pour compenser la main d’oeuvre dans les plantations.
Leur histoire est alors différente des asiatiques venus s’installer aux Antilles, durant le 20ème et 21ème siècle.
Bonjour Emily, comment vas-tu ? Peux-tu te présenter ?
Bonjour, je suis Emily Floro, j’ai 24 ans. Je suis née et j’ai grandi en Martinique jusqu’à mes 18 ans puis je me suis envolée en France hexagonale pour effectuer mes études. Actuellement, j’habite à Paris.

J’ai découvert un de tes tik tok, grâce à ma belle-sœur. Un tik tok tourné vers l’histoire, et ça, on n’en voit pas souvent ! Peux-tu nous raconter l’histoire de tes grands-parents maternels ?
Mes grands-parents maternels se sont rencontrés en 1949 durant la guerre d’Indochine. Mon grand-père Roisier Anicet est Martiniquais. Il s’est engagé à l’armée à l’âge de 19 ans, il quitte la Martinique direction le Havre et ensuite, il a été affecté dans un magasin d’habillement au Vietnam. C’est dans ce magasin qu’il a rencontré ma grand-mère Bui-thi-Dam puisqu’elle y travaillait aussi. Je crois que ça a été le coup de foudre entre eux et après quelques mois de relation, ma grand-mère a donné naissance à un fils, mon oncle Gîo.
Mon grand-père a été rapatrié en France lorsque sa mission s’est terminée. Puisqu’il ne savait pas si un jour, il retournerait au Vietnam, il a laissé derrière lui ma grand-mère et son fils… Puis finalement, son cœur le poussera à retourner au Vietnam. Il sera affecté à une mine de charbon, où les conditions de travail étaient assez difficiles pour lui. Mais il avait retrouvé ma grand-mère, et ils ont vécu ensemble au Vietnam plus de 15 ans.



À quel moment, tes grands-parents se sont retrouvés en Martinique ?
Mes grands-parents sont retournés en 1964 en Martinique.

Comment ta grand-mère a vécu le départ de son pays, et son installation en Martinique ?
Pour ma grand-mère au début, c’était compliqué, d’abord au niveau de la langue, car elle ne parlait et ne comprenait que le Vietnamien. En Martinique, mes grands-parents habitent dans une petite commune : le Vert-pré donc en plus ce n’était pas très commun de voir une personne asiatique dans le coin. Dans les débuts, je pense qu’elle a dû se sentir seule à certains moments… Mais elle savait que mon grand-père et elle resteraient toujours soudés.
Ma grand-mère était orpheline, elle a grandi à la campagne au Vietnam, c’était une femme très débrouillarde et travailleuse. L’avantage c’est que le Vietnam et la Martinique ne sont pas si différents finalement en termes de climat, paysage, nourriture…
Finalement, ma grand-mère a vite appris le créole. C’était beaucoup plus facile pour elle que le français, puisqu’elle ne le parlait pas du tout. Elle se débrouillait plutôt bien en créole
Combien d’enfants sont nés de cette union, et sais-tu comment est-ce qu’ils ont vécu leur métissage ?
En tout, ils ont eu 9 enfants : ils ont 6 enfants qui sont nés au Vietnam et 3 enfants en Martinique, dont ma mère Joséphine qui est la benjamine de la famille.
Je sais que pour l’ainé de la famille, mon oncle Gîo, ça a été compliqué au début, puisqu’il avait 11 ans quand ils sont retournés en Martinique. Il parlait uniquement le vietnamien.
Donc il a du tout réapprendre à l’école avec des enfants plus petits que lui. À l’époque, ce n’était pas commun de voir des enfants métissés avec des yeux bridés, donc il y avait aussi un peu le regard des autres.
Concernant ma mère qui est née en Martinique, elle a bien vécu son métissage. Les mentalités avaient déjà évolué lorsque ma mère allait à l’école, donc elle n’a pas subi de moqueries. Par contre, lorsque ma mère était adolescente, je sais que ça l’embêtait un peu quand ma mamie lui parlait uniquement vietnamien. Car elle se sentait différente des autres, d’ailleurs dans ces moments-là, elle répondait uniquement en créole. Et puis finalement avec les années, elle m’a dit qu’elle regrette, et qu’elle aurait dû plus pratiquer son vietnamien. Maintenant, elle prend des cours pour se perfectionner (lol)
As-tu connu tes grands-parents ? Si oui, quels étaient tes liens avec eux ? Qu’ont-ils appris de leur histoire ?
Oui, j’ai eu la chance de connaître mes grands-parents, on se voyait régulièrement. J’ai toujours eu énormément de respect pour eux et leur histoire. Mon papi était plutôt pudique, mais j’ai toujours pu sentir qu’il était fier de tous ses enfants et petits-enfants. Il m’a toujours soutenu et encouragé dans tous mes projets.
J’étais aussi très attachée à ma grand-mère. Elle nous gâtait beaucoup, elle était toujours aux petits soins avec nous quand on lui rendait visite. Quelques fois, elle me parlait en vietnamien alors qu’elle savait que je ne comprenais pas, et ça l’amusait.
L’histoire de mes grands-parents m’a clairement aidé à construire la jeune femme que je suis. Dans la famille, on a été élevés dans la tolérance, le respect des autres et surtout l’ouverture d’esprit. Mes grands-parents n’ont jamais empêché à aucun de leurs enfants de poursuivre leurs rêves et d’être libres, il n’y avait pas de mauvais jugement. C’est cette éducation que je souhaite transmettre à mes enfants un jour.
Et toi comment est-ce-que tu te positionnes dans toute cette identité ? As-tu toujours été au courant de ces origines ? Que réponds-tu lorsqu’on te demande d’où tu viens ?
J’ai toujours été au courant de mes origines, mais à vrai dire, je ne me sentais pas « différente ». Je pense que je ne me rendais pas compte réellement de ce métissage, car c’était une normalité pour moi.
Chez mes grands-parents maternels, je mangeais du bo-bun, tandis que chez mes grands-parents paternels, c’était typiquement antillais (lol), et pour moi, c’était normal. Lorsqu’on me demande d’où je viens, je dis que je suis Martiniquaise, car j’ai grandi en Martinique, c’est ma culture, mon chez moi, ensuite j’explique que j’ai des origines vietnamiennes du côté de ma mère.

Et toi de ton côté, quels sont tes liens avec le Vietnam ? Y as-tu déjà été ?
Oui, j’ai déjà été au Vietnam et c’était beaucoup d’émotion…
J’ai un oncle qui vit au Vietnam. Lorsque mes grands-parents étaient encore au Vietnam, à sa 3ème grossesse, ma grand-mère a accouché et ne savait pas qu’elle attendait des jumeaux. C’était un hôpital de fortune, et ma mamie, qui n’avait pas suffisamment de lait, avait sa voisine de chambre qui venait de perdre son bébé. Ma mamie a été très touchée, et a décidé de confier son fils (mon oncle Luong) à cette dame. Donc mon tonton a grandi et vécu toute sa vie au Vietnam jusqu’à aujourd’hui.
En allant au Vietnam, j’ai pu rencontrer ma famille, mes cousins et cousines. J’ai été dans le village où ont vécu mes grands-parents. C’est bizarre, car j’ai eu cette sensation d’être un peu comme chez moi en Martinique, avec les paysages, le climat et la cuisine. Être sur le sol vietnamien au début, c’était comme si on vivait un rêve, on y a été avec toute la famille, dont mes grands-parents, donc c’était magique. Pour moi, c’est un peu mon pays de cœur.
Après m’être rapproché d’Emily, elle m’indique qu’elle aimerait que le point de vue de X (soit sa maman ou une de ses tantes) soit inclus dans cet entretien. En effet, mère et fille où tante et nièce, n’ont pas le même parcours, ni le même regard sur cette histoire familiale. Nous allons donc continuer l’entretien avec sa maman Joséphine.

Bonjour, comment allez-vous ? Quel est votre parcours ?
Bonjour, je suis Joséphine Floro, j’ai 53 ans, et je suis née en Martinique au Robert. J’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence au Vert pré, jusqu’à mon départ à Londres pour mes études. Actuellement, je suis agent d’accueil aéroport en Martinique.
Vous êtes issu d’une relation entre un homme noir caribéen, et une femme vietnamienne. Que savez-vous de l’histoire de vos parents ?
Mes parents se sont rencontrés au Vietnam après que mon père se soit engagé à l’âge de 19 ans, à l’armée française. Ils se sont mariés et ont eu 6 de mes frères et sœurs.
Mon père ayant le mal du pays, à souhaité être rapatrié, mais ma mère qui ne connaissant rien de la Martinique, était réticente à quitter le Vietnam. Finalement, ils sont tous revenus en 1964, laissant derrière eux, un de mes frères, jumeaux et ma soeur. Il avait été confié à un couple d’amis vietnamiens.
Je suis née 5 ans plus tard (1969). J’ai rencontré mon frère resté au Vietnam pour la première fois en Martinique, quand mes parents ont fait de très longues démarches afin qu’il puisse nous rendre visite, j’avais alors 19 ans.

Comment avez-vous vécu votre métissage ?
J’ai vécu mon métissage à travers le regard des autres. Je ne me sentais pas différente. Quand j’accompagnais ma mère lors de ses sorties, je faisais l’interprète de manière tout à fait naturelle. Je ne me posais pas de questions. Ma double culture était ce qu’il y avait de plus normal pour moi.
Avez-vous des liens avec l’Asie, notamment le Vietnam? votre mère avait-elle préservé sa culture même loin de son pays ?
Ma mère nous parlait toujours en vietnamien, même si nous répondions en créole. Je suis donc familiarisée avec cette langue, bien que je ne sache pas la parler parfaitement. Je peux soutenir une petite conversation de base.
Aujourd’hui, j’ai pris conscience de l’importance d’apprendre le Vietnamien et j’ai mis en place une méthode d’apprentissage. Cela me permet d’échanger avec ma famille au Vietnam. À la maison, nous mangions aussi bien vietnamien qu’antillais. Nous écoutions la musique antillaise et vietnamienne. Les deux cultures étaient vécues au même rythme et mon père parlait couramment le vietnamien.
Transmettez-vous ce métissage au quotidien auprès de votre descendance ?
De manière plutôt inconsciente, je transmets à mes enfants les mêmes valeurs que m’ont transmises mes parents. Le respect, la tolérance, la valeur du travail, la gentillesse. Pour moi, mon métissage dont j’ai pris conscience tardivement, m’a appris à accepter l’autre avec nos différences. C’est la porte vers une grande humanité.

Au final, qu’est-ce-que vous en tirez de votre histoire familiale ?
De manière générale, notre histoire familiale est une force, on se construit avec. J’ai eu la chance d’avoir une famille très aimante, néanmoins très pudique où le respect et la tolérance sont des piliers. Mes parents sont des exemples de résilience, de force et d’abnégation. Ce sont ces valeurs parmi tant d’autres qu’ils nous ont transmis et que je transmets à mon tour.
Question bonus, savez-vous si votre père a reçu une distinction quelconque en tant que soldat ?
De par son parcours à l’armée française, mon père n’a pas eu de distinction. Mais c’est tout à son image et aujourd’hui à son honneur. Mes parents étaient d’une discrétion exemplaire.

Merci à Emily et à sa maman Joséphine pour leur disponibilité. Mes pensées vont pour Roisier et Bui-Thi-Dam ♥️🌹