L’histoire d’une famille antillaise, entre la Martinique et le Vietnam : Joséphine et Emily Floro les descendantes, nous racontent l’histoire

Tout commence il y a plusieurs semaines, lorsque ma chère belle-soeur Inès, me partage une vidéo Tik Tok. Je reçois le message sur Whats app et elle me dit que cette vidéo pourrait m’intéresser dans le cadre d’Histoire Caraïbe.

Ce Tik Tok était une vidéo qui a été réalisée par Emily Flory, une jeune caribéenne de 24 ans. Cette vidéo était un récapitulatif de l’histoire de ses grands-parents, Roisier qui était un homme noir de Martinique, et Bui-Thi-Dam une femme d’origine vietnamienne. En l’espace de quelques secondes, je suis conquise par toutes ces anciennes photographies qui avaient été regroupé dans le montage.

On pouvait y apercevoir ses grands-parents jeunes, à différentes étapes de leur vie, mais aussi leurs enfants. Sans plus trop attendre, je décide de la contacter, afin que je puisse en savoir davantage sur cette histoire.

L’article sera scindé en deux parties, car Emily répondra aux premières questions, tandis que sa maman Joséphine, a donné son point de vue dans un deuxième temps.

En effet, lorsque j’ai proposé à Emily d’aborder son histoire familiale, elle m’a proposé d’inclure une de ses tantes ou sa maman, afin qu’il puisse y avoir deux regards. Finalement ce sera sa maman, qui donnera son point de vue sur son métissage et l’histoire de ses parents.

Pour celles et ceux qui l’ignorent, lors des différentes guerres mondiales et/ou étrangères, la France a déployé de nombreux soldats, originaires de ses anciennes colonies (Afrique, Antilles, Asie, Maghreb). Beaucoup de ses hommes ont alors voyagé selon les différentes zones de guerres, et ont eu des parcours de vie conséquents.

Pour ma part, j’avais souvent entendu parler de soldats africains ayant épousé des femmes allemandes ou asiatiques durant les divers conflits mondiaux. Mais je n’avais jamais entendu parler de ces soldats antillais, qui ont eu à construire leur vie à travers ces tragédies.

Aussi, je tiens à préciser qu’il existe plusieurs communautés asiatiques (indiens, chinois, japonais, vietnamiens) qui sont établies aux Antilles françaises depuis la fin des années 1850. Ces derniers étant arrivés après l’abolition de l’esclavage, pour compenser la main d’oeuvre dans les plantations.

Leur histoire est alors différente des asiatiques venus s’installer aux Antilles, durant le 20ème et 21ème siècle.

Bonjour Emily, comment vas-tu ? Peux-tu te présenter ?

Bonjour, je suis Emily Floro, j’ai 24 ans. Je suis née et j’ai grandi en Martinique jusqu’à mes 18 ans puis je me suis envolée en France hexagonale pour effectuer mes études. Actuellement, j’habite à Paris. 

J’ai découvert un de tes tik tok, grâce à ma belle-sœur. Un tik tok tourné vers l’histoire, et ça, on n’en voit pas souvent ! Peux-tu nous raconter l’histoire de tes grands-parents maternels ?

Mes grands-parents maternels se sont rencontrés en 1949 durant la guerre d’Indochine. Mon grand-père Roisier Anicet est Martiniquais. Il s’est engagé à l’armée à l’âge de 19 ans, il quitte la Martinique direction le Havre et ensuite, il a été affecté dans un magasin d’habillement au Vietnam. C’est dans ce magasin qu’il a rencontré ma grand-mère Bui-thi-Dam puisqu’elle y travaillait aussi. Je crois que ça a été le coup de foudre entre eux et après quelques mois de relation, ma grand-mère a donné naissance à un fils, mon oncle Gîo. 

Mon grand-père a été rapatrié en France lorsque sa mission s’est terminée. Puisqu’il ne savait pas si un jour, il retournerait au Vietnam, il a laissé derrière lui ma grand-mère et son fils… Puis finalement, son cœur le poussera à retourner au Vietnam. Il sera affecté à une mine de charbon, où les conditions de travail étaient assez difficiles pour lui. Mais il avait retrouvé ma grand-mère, et ils ont vécu ensemble au Vietnam plus de 15 ans. 

Soldats noirs-américains durant la guerre d’Indochine (1946-1954). Ces soldats combattaient aux cotés de soldats antillais et africains, issus de l’armée française.

À quel moment, tes grands-parents se sont retrouvés en Martinique  ? 

Mes grands-parents sont retournés en 1964 en Martinique. 

Comment ta grand-mère a vécu le départ de son pays, et son installation en Martinique ? 

Pour ma grand-mère au début, c’était compliqué, d’abord au niveau de la langue, car elle ne parlait et ne comprenait que le Vietnamien. En Martinique, mes grands-parents habitent dans une petite commune : le Vert-pré donc en plus ce n’était pas très commun de voir une personne asiatique dans le coin. Dans les débuts, je pense qu’elle a dû se sentir seule à certains moments… Mais elle savait que mon grand-père et elle resteraient toujours soudés. 

Ma grand-mère était orpheline, elle a grandi à la campagne au Vietnam, c’était une femme très débrouillarde et travailleuse. L’avantage c’est que le Vietnam et la Martinique ne sont pas si différents finalement en termes de climat, paysage, nourriture… 

Finalement, ma grand-mère a vite appris le créole. C’était beaucoup plus facile pour elle que le français, puisqu’elle ne le parlait pas du tout. Elle se débrouillait plutôt bien en créole

Combien d’enfants sont nés de cette union, et sais-tu comment est-ce qu’ils ont vécu leur métissage ? 

En tout, ils ont eu 9 enfants : ils ont 6 enfants qui sont nés au Vietnam et 3 enfants en Martinique, dont ma mère Joséphine qui est la benjamine de la famille. 

Je sais que pour l’ainé de la famille, mon oncle Gîo, ça a été compliqué au début, puisqu’il avait 11 ans quand ils sont retournés en Martinique. Il parlait uniquement le vietnamien.

Donc il a du tout réapprendre à l’école avec des enfants plus petits que lui. À l’époque, ce n’était pas commun de voir des enfants métissés avec des yeux bridés, donc il y avait aussi un peu le regard des autres.

Concernant ma mère qui est née en Martinique, elle a bien vécu son métissage. Les mentalités avaient déjà évolué lorsque ma mère allait à l’école, donc elle n’a pas subi de moqueries. Par contre, lorsque ma mère était adolescente, je sais que ça l’embêtait un peu quand ma mamie lui parlait uniquement vietnamien. Car elle se sentait différente des autres, d’ailleurs dans ces moments-là, elle répondait uniquement en créole. Et puis finalement avec les années, elle m’a dit qu’elle regrette, et qu’elle aurait dû plus pratiquer son vietnamien. Maintenant, elle prend des cours pour se perfectionner (lol) 

As-tu connu tes grands-parents ? Si oui, quels étaient tes liens avec eux ? Qu’ont-ils appris de leur histoire ? 

Oui, j’ai eu la chance de connaître mes grands-parents, on se voyait régulièrement. J’ai toujours eu énormément de respect pour eux et leur histoire. Mon papi était plutôt pudique, mais j’ai toujours pu sentir qu’il était fier de tous ses enfants et petits-enfants. Il m’a toujours soutenu et encouragé dans tous mes projets.

J’étais aussi très attachée à ma grand-mère. Elle nous gâtait beaucoup, elle était toujours aux petits soins avec nous quand on lui rendait visite. Quelques fois, elle me parlait en vietnamien alors qu’elle savait que je ne comprenais pas, et ça l’amusait. 

L’histoire de mes grands-parents m’a clairement aidé à construire la jeune femme que je suis. Dans la famille, on a été élevés dans la tolérance, le respect des autres et surtout l’ouverture d’esprit. Mes grands-parents n’ont jamais empêché à aucun de leurs enfants de poursuivre leurs rêves et d’être libres, il n’y avait pas de mauvais jugement. C’est cette éducation que je souhaite transmettre à mes enfants un jour. 

Et toi comment est-ce-que tu te positionnes dans toute cette identité ? As-tu toujours été au courant de ces origines ? Que réponds-tu lorsqu’on te demande d’où tu viens ?

J’ai toujours été au courant de mes origines, mais à vrai dire, je ne me sentais pas « différente ». Je pense que je ne me rendais pas compte réellement de ce métissage, car c’était une normalité pour moi.

Chez mes grands-parents maternels, je mangeais du bo-bun, tandis que chez mes grands-parents paternels, c’était typiquement antillais (lol), et pour moi, c’était normal. Lorsqu’on me demande d’où je viens, je dis que je suis Martiniquaise, car j’ai grandi en Martinique, c’est ma culture, mon chez moi, ensuite j’explique que j’ai des origines vietnamiennes du côté de ma mère. 

Et toi de ton côté, quels sont tes liens avec le Vietnam ? Y as-tu déjà été ? 

Oui, j’ai déjà été au Vietnam et c’était beaucoup d’émotion…

J’ai un oncle qui vit au Vietnam. Lorsque mes grands-parents étaient encore au Vietnam, à sa 3ème grossesse, ma grand-mère a accouché et ne savait pas qu’elle attendait des jumeaux. C’était un hôpital de fortune, et ma mamie, qui n’avait pas suffisamment de lait, avait sa voisine de chambre qui venait de perdre son bébé. Ma mamie a été très touchée, et a décidé de confier son fils (mon oncle Luong) à cette dame. Donc mon tonton a grandi et vécu toute sa vie au Vietnam jusqu’à aujourd’hui. 

En allant au Vietnam, j’ai pu rencontrer ma famille, mes cousins et cousines. J’ai été dans le village où ont vécu mes grands-parents. C’est bizarre, car j’ai eu cette sensation d’être un peu comme chez moi en Martinique, avec les paysages, le climat et la cuisine. Être sur le sol vietnamien au début, c’était comme si on vivait un rêve, on y a été avec toute la famille, dont mes grands-parents, donc c’était magique. Pour moi, c’est un peu mon pays de cœur. 

Après m’être rapproché d’Emily, elle m’indique qu’elle aimerait que le point de vue de X (soit sa maman ou une de ses tantes) soit inclus dans cet entretien. En effet, mère et fille où tante et nièce, n’ont pas le même parcours, ni le même regard sur cette histoire familiale. Nous allons donc continuer l’entretien avec sa maman Joséphine.

Bonjour, comment allez-vous ? Quel est votre parcours ?

Bonjour, je suis Joséphine Floro, j’ai 53 ans, et je suis née en Martinique au Robert. J’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence au Vert pré, jusqu’à mon départ à Londres pour mes études. Actuellement, je suis agent d’accueil aéroport en Martinique.

Vous êtes issu d’une relation entre un homme noir caribéen, et une femme vietnamienne. Que savez-vous de l’histoire de vos parents ?

Mes parents se sont rencontrés au Vietnam après que mon père se soit engagé à l’âge de 19 ans, à l’armée française. Ils se sont mariés et ont eu 6 de mes frères et sœurs.

Mon père ayant le mal du pays, à souhaité être rapatrié, mais ma mère qui ne connaissant rien de la Martinique, était réticente à quitter le Vietnam. Finalement, ils sont tous revenus en 1964, laissant derrière eux, un de mes frères, jumeaux et ma soeur. Il avait été confié à un couple d’amis vietnamiens.

Je suis née 5 ans plus tard (1969). J’ai rencontré mon frère resté au Vietnam pour la première fois en Martinique, quand mes parents ont fait de très longues démarches afin qu’il puisse nous rendre visite, j’avais alors 19 ans.

Comment avez-vous vécu votre métissage ?

J’ai vécu mon métissage à travers le regard des autres. Je ne me sentais pas différente. Quand j’accompagnais ma mère lors de ses sorties, je faisais l’interprète de manière tout à fait naturelle. Je ne me posais pas de questions. Ma double culture était ce qu’il y avait de plus normal pour moi.

Avez-vous des liens avec l’Asie, notamment le Vietnam? votre mère avait-elle préservé sa culture même loin de son pays ?

Ma mère nous parlait toujours en vietnamien, même si nous répondions en créole. Je suis donc familiarisée avec cette langue, bien que je ne sache pas la parler parfaitement. Je peux soutenir une petite conversation de base.

Aujourd’hui, j’ai pris conscience de l’importance d’apprendre le Vietnamien et j’ai mis en place une méthode d’apprentissage. Cela me permet d’échanger avec ma famille au Vietnam. À la maison, nous mangions aussi bien vietnamien qu’antillais. Nous écoutions la musique antillaise et vietnamienne. Les deux cultures étaient vécues au même rythme et mon père parlait couramment le vietnamien.

Transmettez-vous ce métissage au quotidien auprès de votre descendance ?

De manière plutôt inconsciente, je transmets à mes enfants les mêmes valeurs que m’ont transmises mes parents. Le respect, la tolérance, la valeur du travail, la gentillesse. Pour moi, mon métissage dont j’ai pris conscience tardivement, m’a appris à accepter l’autre avec nos différences. C’est la porte vers une grande humanité.

Au final, qu’est-ce-que vous en tirez de votre histoire familiale ?

De manière générale, notre histoire familiale est une force, on se construit avec. J’ai eu la chance d’avoir une famille très aimante, néanmoins très pudique où le respect et la tolérance sont des piliers. Mes parents sont des exemples de résilience, de force et d’abnégation. Ce sont ces valeurs parmi tant d’autres qu’ils nous ont transmis et que je transmets à mon tour.

Question bonus, savez-vous si votre père a reçu une distinction quelconque en tant que soldat ?

De par son parcours à l’armée française, mon père n’a pas eu de distinction. Mais c’est tout à son image et aujourd’hui à son honneur. Mes parents étaient d’une discrétion exemplaire.

Merci à Emily et à sa maman Joséphine pour leur disponibilité. Mes pensées vont pour Roisier et Bui-Thi-Dam ♥️🌹

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Paroles d’esclaves avec Jessica Maëlie Cheral (Guadeloupe)

Hello à tous, aujourd’hui, je reviens vers vous, avec un article pas comme les autres. Suite à de nombreux échanges, je me suis aperçu que beaucoup d’entre vous, avez eu la chance de connaître vos arrière-grands-parents. Des ancêtres avec qui vous avez eu l’opportunité d’échanger avec, sur leur époque ou ceux de leurs propres ancêtres.

À travers ces récits, Jessica Maëlle Cheral souhaite nous partager les récits de ces deux arrière-grands-mères, toutes deux descendantes d’une arrière-grand-mère qui a vécu l’esclavage en Guadeloupe.

Oui, vous avez bien lu, Jessica possède en elles, de nombreuses anecdotes que ses aïeux esclaves ont vécus. Elle a eu cette chance de connaître ses ainés qui ont suffisamment vécu longtemps, pour avoir le temps de lui transmettre des récits précieux.

Durant quelques lignes, nous alors plonger dans la vie d’une esclave au 19 siècle en Guadeloupe.

Honorine Duhamel et Charlise Miath, les arrières-grands-mères de Jessica.

« Je suis Jessica Maëlie Cheral et je suis une guadeloupéenne qui veut vous raconter son histoire : l’histoire de mes arrière-grand-mères plus précisément. 

Sur cette photo, vous pouvez voir deux magnifiques femmes : à gauche, c’est mon aïeule, mamie Honorine Duhamel, et à droite sa fille, mamie Charlise Miath (de son nom de jeune fille Duhamel). Mamie Honorine était descendante d’esclave, oui, car sa maman en était une. Je n’ai pas personnellement eu le temps de la connaître, mais j’ai eu la chance que sa fille mamie Charlise me raconte son histoire et ce que sa grand-mère vivait dans les anciennes plantations. Avant que mamie nous quitte, elle et la femme de son fils, ma grand-mère, madame Miath Céline Huguette, ont pu me raconter bien des histoires sur la vie dans les plantations à l’époque de la maman de mamie Honorine. Quand j’était petite, avec ma jumelle, ont adoraient s’asseoir et les écouter parler.

Je me rappelle une petite anecdote qui m’a marqué : 
À l’époque, comme vous le savez, les femmes plutôt belles travaillaient dans la grande maison ou la dans la « maison des maîtres » autrement appelé. Sa maman était une femme, grande et belle, de couleur caramel cuivre, une belle peau chabine comme on n’en voit pas partout. Elle travaillait dans la grande maison. 
Mon arrière-grand-mère et ma grand-mère nous disaient que la maman de mamie Honorine avait peur de se retrouver seul dans la maison quand la maîtresse s’en allait à l’extérieur. Vous me direz pourquoi ? 
Parce qu’en l’absence de la maîtresse, le maître en profitait des filles de la maison. La maman de Honorine avait peur alors, à chaque fois que c’était le cas, elle trouvait le moyen de s’enfuir de la maison et de disparaître le temps que la maîtresse revienne dans les parages. C’était horrible psychologiquement pour elle. Je ne savais pas à l’époque que « cette pratique » s’appelait le droit de cuissage. Quand je demandais à mes grand-mères, elles me répondaient souvent : « tu le sauras quand tu seras plus grande ». Maintenant, que j’ai grandi et que je sais ce que c’était, j’ai aussitôt compris la peur de mamie Honorine pour sa maman.

Chabin(e) = Dans la caraïbe, le terme chemin est utilisé pour désigner un individu au teint clair, mais avec des traits africains, et des cheveux crépus. À l’époque, on disait aussi que les cheveux avaient une particularité, notamment à travers la couleur, qui pouvait être blonde ou rousse. À l’origine, c’était un terme péjoratif, qui était utilisé par les colons afin de mépriser leurs esclaves à la peau claire. Ainsi, le mot chabin désignerait le croisement entre un bélier et une chèvre. Il désignerait aussi le mouton qui a des poils roux, pour faire référence aux personnes claires qui naissaient avec les cheveux roux. Bien que les vraies significations soient négatives, on observe que les populations antillaises utilisent toujours, certains termes dits « coloniaux ». La plupart des caribéens connaissent les vrais sens, mais ces termes ont été banalisés et intégrés dans les cultures locales. Ce qui signifie que lorsqu’ils sont employés, les individus ne cherchent pas à offenser, mais plutôt à décrire une personne.

Les autres esclaves, plus foncés comme mon papa, à l’époque, cultivaient la terre et les champs de canne à sucre qui était à ce moment-là, la mine d’or la plus rentable de l’île. Mamie nous disait, qu’ils travaillent si durs sous le soleil pendant toute la journée, mangeaient dans la plantation. 
Ainsi, à la fin de la journée, ils devaient ramener un certain kilo qui permettrait de garder le commerce toujours florissant. Sauf que si ce nombre de kilos n’était pas atteint, ils se prenaient une correction avec le fouet.

Le dos de certains pouvait être en lambeaux, les femmes soignaient tout ça avec une pommade qui ressemblait à de la vaseline, sinon, c’était du miel avec des « rimèd razié » pour atténuer la douleur. 

Une seule question me taraude l’esprit : il, y a-t-il eu des femmes de ma famille qui ont été violées ou qui ont eu des enfants du fruit de cet acte ? 
Depuis des années, cette question reste sans réponse.

En grandissant ma curiosité envers ce qu’il s’est passée dans la vie de mes ancêtres a grandi à un point où, les recherches dans les archives pour retrouver la trace de chaque membre de ma famille se sont multipliées. J’ai également fait un test pour savoir quelles étaient mes origines exactes. 

Mes ancêtres esclaves étaient nigérians, dans les générations suivantes ont suivi un métissage avec des indiens locaux, mais aussi ceux qui sont venus d’Inde par la suite. Quelques fois avec ma grand-mère, on pouvait regarder des films ou séries sur l’esclavage à l’époque à la télévision sur la célèbre chaîne France Ô. Tout ça ressemblait tellement à ce que mes grand-mères me racontaient, que je pouvais être si noire de tristesse et de colère. À travers ces images, tout se retranscrivait parfaitement, ce que mes ancêtres avaient vécu, ce qui nous révoltait. 
Mais en y repensant aujourd’hui, je vois la richesse que j’ai d’avoir eue des femmes formidables qui se sont battues aussi longtemps pour faire en sorte que je connaisse cette histoire que je transmettrai à mes futurs enfants ou neveux et nièces. J’ai eu cette chance de naître dans une famille de conteuses d’histoire, qu’elles soient réelles ou folkloriques, historiques ou fantastiques.

Indiens locaux = indiens d’Amériques, autochtones, amérindiens ou indigènes. Ces populations étaient les premières civilisations des territoires caribéens. Suite à l’arrivée des européens vers les années 1600, la plupart d’entre eux ont été exterminés, mais beaucoup ont également survécus. On dit qu’ils ont été réduits en esclavage, en même temps que les africains. Ainsi, il reste assez difficile de mettre un nombre sur les amérindiens ayant survécus aux Antilles Françaises, car l’histoire a souvent rappelé qu’ils n’existaient plus dans ces territoires (par contre dans les territoires anglophones, ils étaient plus nombreux). Or, beaucoup de guadeloupéens et martiniquais, attestent qu’ils ont des aïeux amérindiens, qu’ils appellent plus communément « Caraïbe ».

Par cet article que j’ai écrit, j’aimerais dire que mes grand-mères de là-haut que je les aime du fond du coup, et je remercie toujours ma grand-mère, la mère de mon papa, de continuer avec ses sœurs de me raconter toutes ces histoires.

Voici l’histoire de mes arrière-grand-mères, mamie Honorine Duhamel et mamie Charlise Miath. » 

Merci à vous.

Merci à toi Jessica pour ce récit. Nous t’en sommes reconnaissants. Pour ceux qui souhaitent aussi partager des anecdotes sur leurs aïeux et l’esclavage, vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : histoirecaraibe@laposte.net

4 descendants de travailleurs engagés congolais, en Guadeloupe et en Martinique

En tant qu’antillaise, il y a énormément d’éléments dans l’histoire des Antilles, et de la région Caraïbe, que je ne savais pas. C’est à l’âge adulte, que je me suis mise à chercher et à comprendre davantage, sur les différents peuplements des territoires caribéens.

Comme beaucoup d’antillais d’ascendance noire et africaine, j’ignorais que dans une seule et même population noire, il y avait eu plusieurs vagues d’arrivées. Je m’explique, il y avait les esclaves africains arrivés avant 1848, et des travailleurs engagés africains arrivés après 1848. Mais quelle est la différence entre ces deux vagues de peuplement ? La différence, c’est que les esclaves africains arrivés avant 1848, venaient des différentes régions d’Afrique, et ont leur enlevait systématiquement leurs noms, prénoms, traditions… Ils avaient simplement des numéros/matricules pour les désigner, ils étaient vendus à des propriétaires, et ils étaient surtout officiellement reconnus en tant qu’esclave travaillant dans des plantations.

Or, pour les africains arrivés après 1848, ces derniers sont donc arrivés aux Antilles Françaises après l’abolition de l’esclavage. À cette période, l’esclavage étant aboli, il n’y avait plus personne pour travailler dans les plantations. Les autorités coloniales ont alors envisagé de faire venir des travailleurs engagés étrangers (africains, asiatiques et européens), qui viendraient travailler dans le cadre d’un contrat (5 ans).

C’est comme cela que des travailleurs engagés originaires du Congo, débarqueront en Guadeloupe et en Martinique à partir de 1857. Comme pour leurs prédécesseurs, ils arrivent à bord de plusieurs navires ou les passagers sont à la fois des adultes (hommes et femmes) ainsi que des enfants.

Selon les historiens, 15 121 congolais sont arrivés en Guadeloupe jusqu’en 1851, et 10 521 sont arrivés en Martinique, jusqu’en 1862. Ils seront logés dans les anciennes habitations des anciens esclaves, et ils travailleront pour les anciens propriétaires.

Normalement, selon les contrats qui ont été établis, ces derniers devaient travailler un temps puis retourner en Afrique, une fois le contrat terminé. Cependant, une bonne majorité restera en Guadeloupe et en Martinique. Les billets de retour étants trop chers et n’ayant pas forcément beaucoup économisé, les congolais n’ont pas eu cette opportunité de retourner chez eux. C’est une population qui a alors finit par s’installer définitivement dans leur pays d’accueil, et ils se sont fondus dans la société antillaise.

De plus, lorsqu’ils venaient d’arriver sur ces territoires, ils ont souvent fait l’objet de moqueries de la part de la société noire créole (les descendants d’esclaves africains déjà installés depuis des générations). En effet, pour la population locale, l’Afrique restait un territoire inconnu avec beaucoup de préjugés et de mépris. Les congolais ne comprenaient par exemple pas le créole et ils tentaient de préserver leurs propres traditions également (gastronomie, musique, danse, cultes…).

Néanmoins, les générations ont passé et les travailleurs congolais sont une partie intégrante des sociétés antillaises actuelles. Premièrement, la population locale ne fait plus forcément de distinction. Deuxièmement, il y a un grand nombre de guadeloupéens et de martiniquais qui ont probablement des ancêtres KONGO/NÈG KONGO (c’est comme cela qu’on les appelait), mais qui ne le savent pas. Tout simplement parce que la transmission ne s’est peut-être pas faite au fil des générations.

De cette histoire, il reste principalement plusieurs noms de famille qui existent encore dans les deux îles. Des patronymes qui sont donc portés par les descendants : Massembo, Goma, Moanda, Angloma…

Alors comme je ne fais pas les choses à moitié, je ne me suis pas contenté de vous rédiger un simple article. Grâce à la page Instagram du site, j’ai tenu à faire mes propres recherches, afin de retrouver des éventuels descendants de Kongo aux Antilles françaises. Plusieurs d’entre-vous m’ont alors répondu, et ont accepté de témoigner ici.

Je les remercie d’avance, et je vous dis à très vite pour un nouvel article. Merci à Axel, Noëlla, Pascaline et Orlane pour leurs récits et leurs archives.

AXEL

Je m’appelle Axel et je suis descendant de travailleurs congolais, du côté de ma mère.
Mon premier ancêtre Kongo avait pour nom de famille Kalanda. On le surnommait Jean, il était père de deux enfants dont Jeannille et il travaillait dans l’habitation Bologne à Saint-Claude. Malheureusement, je n’ai pas plus d’informations que ça. Mon arrière-grand-mère Stéphanie qui était l’arrière-petite-fille de cet homme, n’a aussi pas plus d’informations.
Elle est toujours vivante, mais puisqu’elle a perdue sa maman Marie-Celestine (fille de Jean Kalanda) à l’âge de 8 ans, elle n’a pas eu le temps d’en savoir plus. De mes dernières recherches, le fief des Kalanda reste la ville de Saint-Claude en Guadeloupe.

NOËLLA

Je m’appelle Noëlla et mon arrière-arrière-arrière-grand-père était un engagé du Congo. Ce dernier est arrivé après l’abolition de l’esclavage, et il s’appelait Jean Makaïa (à l’origine, ça s’écrivait Makaya, puis le nom a été modifié). Je n’ai pas plus d’informations, mais je sais qu’il est enterré au cimetière de la ville du Moule (Nord de la Guadeloupe). Son fils qui était le grand-père maternel de ma maman travaillait en tant que contremaître à l’Usine Gardel (je crois qu’aujourd’hui, c’est là où se trouvent les activités de Damoiseau). Ainsi, il a épousé une femme de la famille Ramier.

Après les dires de ma grand-mère, j’ai effectué mes propres recherches de mon côté. J’ai alors tapé le nom Makaïa dans la base de recherche du site Anchoukaj, et je suis alors tombé sur une liste de travailleurs engagés du Congo. Je ne possède malheureusement pas de photos de cet aïeul venu du Congo, mais j’ai une photo de son fils Jean Makaïa.

Pascaline

Je m’appelle Pascaline, et je suis descendante d’engagés du Congo du côté de mon père martiniquais. Premièrement, les deux parents de mon grand-père paternel Antoine Mi-Poudou, sont tous les deux des descendants de familles immigrantes africaines. Son père était un Mi-Poudou et sa mère une Moussanga. Mon arrière-grand-mère Adélaïde MOUSSANGA est issue d’une famille d’immigrants africains, enrôlés avec un contrat de 10 ans. Ayant fait des recherches généalogiques, j’ai été amené à me rendre à Aix-en-Provence pour consulter des archives. Ainsi, je suis tombée sur des cartons d’archives, avec l’histoire de l’immigration africaine en Martinique après l’abolition de l’esclavage. J’ai pu retrouver la liste des noms des navires, les numéros des immigrants, le nombre de convois…

Le grand-père paternel de Pascaline, Antoine Mi-Poudou

Puis nous avons enfin Orlane, une énième descendante d’engagés congolais

Je m’appelle Orlane Louemba, j’ai 34 ans et je vis en Essonne en région parisienne. Ma famille est originaire du François en Martinique. Je n’ai pas beaucoup d’éléments, mais selon les anciens de ma famille, nous descendons de deux frères Louemba qui étaient tous deux originaires du Congo. Ils sont arrivés en Martinique afin de travailler dans la mécanique et ils ne sont jamais retournés en Afrique. Ils sont restés en Martinique jusqu’à leur mort.

Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, voici un lien qui retrace en quelques lignes, les différentes immigrations aux Antilles :

https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2008_num_1274_1_4761

https://site.ac-martinique.fr/histoire-geographie/wp-content/uploads/sites/15/2021/10/lengagisme.pdf

Gaël Rapon, fils de martiniquais arrivés en hexagone dans les années 70

De mes plus lointains souvenirs, j’ai découvert Gaël Rapon à travers une créatrice de mode, dont je suivais le parcours depuis mes 17/18 ans. À l’époque, je sors à peine du lycée, et je découvre cette jeune marque qui rend hommage à la photographie africaine et aux communautés africaines de France.

La marque met en avant ses produits à travers des modèles et des décors atypiques. Celui qui se cache alors derrière l’objectif n’est autre que Gaël.

Gaël fait partie de ces premières générations d’enfants antillo-guyanais nés en hexagone. Lorsque je découvre son univers, je ressens beaucoup d’affirmation et de préservation de ses racines. Il me fait aussi penser à mes cousins et cousines qui sont nés à la même période que lui, et j’aime beaucoup les clichés qu’ils prend au quotidien. Des photographies qui mettent une image sur les différentes communautés de Paris, les moyens de locomotion les plus populaires d’Île-de-France, les célèbres salons de coiffure afro-caribéens de la capitale…

Dans le cadre d’Histoire Caraïbe, il était alors naturel pour moi qu’on échange ensemble sur son histoire, en tant qu’homme antillais ayant vécu entre les Antilles et la Métropole.

Bonjour Gaël, merci d’avoir accepté de répondre à mon questionnaire. Peux-tu te présenter ? 

Je suis Gaël Rapon, je suis née à Ivry-sur-Seine dans le 94 (Val-de-Marne), et je suis âgé de 41 ans. 

De quel territoire caribéen es-tu originaire ?

Je suis originaire de la Martinique. 

Quelle est ton histoire familiale ? 

Ma mère est arrivée en France à l’âge de 12 ans. Elle avait rejoint ma grand-mère qui était partie 5 ans plus tôt, afin de s’émanciper professionnellement, mais avant tout, pour fuir les coups et la violence de son mari. 

Ma mère se souvient du froid, du choc culturel, des regards, mais aussi de la gentillesse de certains camarades. 

La Caraïbe est composée de diverses migrations humaines (indigènes, africains, européens, asiatiques, arabes). Sais-tu de quelle communauté descends-tu ?

Je sais que la première « Rapon » à avoir été nommée « Rapon Reinette » était peule. Un test ADN, plus tard, me dira que le Nigéria est aussi un des berceaux de mes ancêtres. 

Femme Peule

L’ethnie Peule est à ce jour l’une des plus grandes ethnies d’Afrique. On dit que les ancêtres des Peuls étaient des bergers et commerçants, mais aussi de grands voyageurs et de grands guerriers. En effet, ces derniers ont joués un rôle fondamental, dans les différentes guerres qui ont rythmé les royaumes du continent.

L’origine exacte de ce peuple reste malgré tout assez confuse, car plusieurs historiens amènent plusieurs thèses. Certains avancent que les Peuls seraient originaires d’Égypte, tandis que d’autres indiquent que leurs origines pourraient se trouver en Éthiopie ou en Afrique du nord.

Ainsi, lors de la traite négrière et la colonisation, les Peuls n’ont pas échappé aux commerces des esclaves.

Selon les différentes côtes africaines, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, ont été capturés et réduits en esclavage aux Amériques. De ce fait, de nombreux caribéens descendent de cette ethnie.

Histoire Caraïbe

Comment as-tu vécu avec ses racines caribéennes ? Tes parents, t’ont-ils transmis leur culture antillaise ? Si oui, de quelle manière ? 

Et bien au départ, c’était un peu confus, j’ai eu besoin de me renseigner au-delà de ce que j’étais. Et puis échanger avec beaucoup d’amis antillais.

J’observais également beaucoup…

J’étais entourée d’une communauté antillaise où j’ai grandi dans le 91 à Vigneux-sur-Seine. Haïtiens, Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais…

Vigneux c’est très populaire, c’est un petit Brésil. 

Mes parents m’ont transmis…

Ma mère, mes grands-parents, mes oncles et tantes m’ont transmis la langue, l’amour de la cuisine ou de bien manger.

Mon père m’a transmis le rythme, la musique. 

As-tu où as-tu eu des liens avec tes grands-parents ?

Mon papy m’a appris à observer, ma mamie son amour des fleurs.

Mon papy me contait aussi des contes et des fables valeureuses « yékrik yékrak » (c’est une expression traditionnelle et orale aux Antilles Françaises, que les conteurs utilisent avant le récit d’une histoire). Lorsque nous devions aller nourrir les animaux le soir, il me laissait seul dans les criques. Le matin, aussi, lorsqu’il fallait traire les vaches et faire la distribution du lait, il m’éveillait à beaucoup de choses.

Puis dans les années 80 en Martinique, il y avait des lucioles qui s’envolaient vers 19h, c’était magnifique.

Ma grand-mère, c’était tout le monde végétal floral. Avec elle, je commençais à me percher vers la contemplative, vers 20h ou un peu plus tôt. On regardait les berceaux de Moïse s’ouvrir et diffuser leur parfum pendant qu’elles fredonnaient.

Tout cela a fait l’homme que je suis aujourd’hui. J’utilise tous ces savoirs à travers mon travail qu’est la photographie. J’accompagne les gens à de l’ancrage et à du lâcher prise. Je dois tout cela à mes grands-parents.

As-tu des enfants ? Si oui, comment tu leur transmets ton héritage culturel ? 

J’ai 3 enfants et ce n’est pas chose aisée, mais je fais tout pour qu’ils bénéficient des deux cultures, à travers des contes, de la musique, par la langue.

Comment préserves-tu et comment vis-tu ton héritage martiniquais au quotidien ? 

Je ne pense pas avoir besoin de préserver mon héritage.

Il vit en moi au travers de tout ce que l’on m’a transmis oralement, et tous mes ancêtres me guident. 

Je me sens entourée de ma culture, et puis la communauté est grande.

Je ne suis pas seul.  

Quelle est la dernière fois où tu t’es rendu en Martinique ? 

Je suis retourné en Martinique en 2017. 

As-tu eu l’occasion de découvrir d’autres territoires caribéens ?

Oui, j’ai visité l’île de Cuba. 

En-dehors de tes activités de photographe, tu es aussi le créateur d’une ligne de tee-shirt, que tu as prénommée Nou o konba, quelle est la genèse de ce compte ?

Nou o Konba revient bientôt. C’est une ligne de tee-shirt qui prône que l’amour est une force.

Je développe actuellement d’autres modèles avec de nouvelles thématiques. 

Le premier message était ultra fédérateur ! Ça me faisait très plaisir de véhiculer de belles valeurs de vie qui plus est dans notre langue. 

« Papi aimait s’asseoir au pied d’un arbre et en fixant une étoile, il disait : je veux et prétends découvrir ton pouvoir infini »

Papi parlait et caressait les arbres.

C’est ma culture. 

Merci à toi Gaël ♥️ Voici son site internet pour ceux qui souhaitent découvrir son univers https://www.gaelrapon.com

Michèle, fille d’un couple martiniquais arrivés en Hexagone dans les années 60

Michèle est une cinquantenaire née en 1970 à Paris de deux parents martiniquais. Dans sa jeunesse, elle grandit dans la capitale qu’elle chérit tant, et se rend régulièrement en vacances aux Antilles.

Cependant, elle considère qu’elle n’a pas toujours été bercée dans cette culture antillaise, et qu’elle a surtout renoué avec ses racines, a l’âge adulte.

Depuis quelque temps, elle est la créatrice d’une page Instagram Mémoire d’une terrienne, ou elle partage son parcours, et son histoire familiale.

Bonjour Michèle, merci d’avoir accepté de répondre à mon questionnaire. Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle donc Michèle, je suis née à Paris et j’y ai vécu pendant plus de 30 ans. J’ai vécu 15 ans en Seine-et-Marne et depuis 4 ans, je vis en Touraine. 

J’ai commencé à travailler dès l’âge de 19 ans dans un hôpital parisien, dans un laboratoire d’analyses sanguines en tant que secrétaire. J’ai tourné dans plusieurs services dont la radiologie, services de consultation, accueil/standard. Au bout de 15 ans dans ce domaine, j’ai décidé de me reconvertir en tant qu’esthéticienne, j’ai fait une demande de Fongecif et j’ai passé mon CAP à 30 ans. Pendant cette formation, je me suis rendu compte que l’activité en institut ne me plaisait pas du tout et j’avais une large préférence pour le conseil et la vente en parfumerie. N’ayant pas trouvé de poste fixe, je suis retournée à l’hôpital en tant que secrétaire aux ressources humaines. Sept ans plus tard, j’ai fini par être embauchée dans une grande chaîne de parfumerie en tant que conseillère. Ma carrière professionnelle s’est arrêtée pour des raisons de santé et j’ai une invalidité depuis 8 ans.

C’est à ce moment que j’ai commencé à écrire des articles sur la beauté, le bien-être et petit à petit, j’ai publié sur des sujets de société qui me tenaient à cœur. Puis j’ai eu envie de partager mon expérience face aux épreuves à travers mon premier livre. Puis j’ai écrit un deuxième qui raconte l’histoire d’une femme d’origine antillaise née à Paris, les différents courants musicaux qui ont marqué sa jeunesse et les préjugés auxquels elle a dû faire face. Le troisième livre traite des violences conjugales. Ils ne sont plus disponibles à ce jour. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai créé le compte Instagram Mémoires d’une Terrienne. Au début, je partageais des photos accompagnées toujours de quelques mots. Et puis l’envie d’écrire mes souvenirs comme dans mon livre, mais sous un autre format, s’est faite ressentir. Ton compte m’a aussi motivée à le faire.

Michèle lors de son baptême à l’âge de 4 mois.

De quel territoire caribéen es-tu originaire ?

Je suis originaire de la Martinique par mes deux parents.

Michèle et son père lors de vacances en Martinique dans les années 70.

Quelle est ton histoire familiale ?

Mon père est arrivé en Métropole par le service militaire et ma mère par le Bumidom en 1967. Mon père est rentré à la RATP en tant que conducteur de métro, puis a gravi les échelons en interne ; ma mère a travaillé en tant que secrétaire dans un cabinet médical puis a trouvé un emploi dans un hôpital (celui dans lequel j’ai travaillé), en tant que gestionnaire de stock de la papeterie et du matériel médical puis a évolué en tant que responsable.

La Caraïbe est composée de diverses migrations humaines, sais-tu de quelle communauté descends-tu ?

j’ai des origines africaines et blanches par ma mère (son père était mulâtre), et j’ai des origines indiennes par mon père. 

Le terme mulâtre était un terme qu’on utilisait à une certaine époque, pour désigner une personne au teint clair, et qui est issu d’un métissage noir-blanc. Aussi, c’était en réalité un terme péjoratif, car il provient du mot mulet, qui est le croisement entre une jument et un âne. Vous l’avez compris, ce terme était utilisé par les colons pour mépriser toutes les personnes blanches, s’étant unis avec des personnes noires. Ce mot à par la suite été repris par l’ensemble des populations antillaises. Aujourd’hui, c’est un terme qui est peu utilisé chez les jeunes. Pour désigner une personne issue d’un métissage, on parle plutôt de « métis ».

Comment as-tu vécu avec ses racines caribéennes ? Tes parents, t’ont-ils transmis leur culture antillaise ? Si oui, de quelle manière ?

Je suis née à Paris, et même si je partais presque toutes les vacances d’été à la Martinique, je n’ai pas vraiment reçu la culture antillaise. Mes parents ne parlaient jamais le créole à la maison, on mangeait très peu de spécialités sauf pour les fêtes, j’ai surtout reçu une éducation parisienne. Je dois avouer que la vie antillaise ne m’intéressait pas plus que cela. Adolescente, je n’aimais pas trop y aller, je m’y sentais étrangère. Ce n’est pas facile de s’intégrer quand on vient de la Métropole et particulièrement de Paris… J’en parlerai plus en détail sur mon compte.

Michèle enfant devant les disques de ses parents. Elle considère que la musique a une place importante dans sa vie, et qu’elle a particulièrement caractérisé plusieurs périodes de sa vie.

As-tu où as-tu eu des liens avec tes grands-parents ?

Ma grand-mère maternelle était malade et je l’ai très peu connue. On allait en vacances chez ma grand-mère paternelle qui a vécu suffisamment longtemps pour connaître mes enfants.

As-tu des enfants ? Si oui, comment tu leur transmets ton héritage culturel ?

J’ai deux enfants et je ne leur ai pas transmis la culture antillaise, car ne l’ayant moi-même pas reçue, cela était compliqué. Ils ont tout de même été en Martinique quand ils étaient petits, mais ce n’était pas suffisant pour qu’ils s’imprègnent de la culture. Plus tard, dans leur vie de jeune adulte, ils m’ont posé plein de questions sur nos origines. C’est grâce à eux que je me suis enfin intéressé à mon histoire. J’ai même fait mon arbre généalogique.

Comment préserves-tu et comment vis-tu ton héritage martiniquais au quotidien ?

Je préserve mon héritage en partageant mon histoire, en suivant des comptes inspirants comme le tien 😉 , ou en écoutant de la musique antillaise. Mon mari n’est pas Antillais, mais étant cuisinier, il nous prépare d’excellents plats antillais. Il est vrai que depuis que je vis en Touraine, je fréquente moins la communauté, voire pas du tout. Mais heureusement que les réseaux sociaux existent pour maintenir un certain lien. 

L’autre moyen de garder le lien avec mes origines est l’écriture. Le fait d’avoir écrit mon histoire à travers un livre et de continuer à le faire sur Instagram, puis par le commencement d’un autre blog, préserve toujours mon lien avec la Martinique. 

Quelle est la dernière fois où tu t’es rendu en Martinique ?

La dernière fois que je suis allée en Martinique, c’était en novembre 2017, à la période de la Toussaint. C’était la toute première fois que j’allais au cimetière, me recueillir auprès des miens, ce fût très émouvant… j’espère y retourner très prochainement.

Si vous voulez vous procurer le l’ouvrage de Michèle, il est actuellement disponible à la FNAC : https://livre.fnac.com/a12517662/Michele-Crepin-Et-j-ai-garde-mon-afro-pour-mieux-danser-sur-la-tete

Merci à toi Michèle ! ♥️

Nadini, descendante de noirs marrons (Bushinengués) du Suriname

Bonjour à tous !

J’inaugure le tout premier article du blog Histoire Caraïbe, à travers le portrait de Nadini. Après 2 ans d’écrit uniquement sur Instagram, je décide de vous proposer du contenu plus développé, avec la rencontre de plusieurs d’entre-vous, des événements ou des personnalités historiques, et même des différents endroits de la Caraïbe, à travers vos voyages.

Nadini est une descendante d’africains esclaves, ayant fui les plantations du Suriname. Je l’ai rencontré à la création du compte Histoire Caraïbe, lorsque j’ai découvert sa page Sabi Boto. Un espace qu’elle a elle-même créé, afin de partager l’histoire des Bushinengués.

Les Bushinengués c’est un ensemble de peuples originaires d’Afrique, et qui ont été déportés vers le Suriname lors de l’esclavage. Ces derniers ont refusé l’asservissement, et ont préféré s’enfuir des plantations, pour vivre dans les forêts. Leurs descendants ont alors perpétué leurs traditions d’Afrique, loin de la soumission et des horreurs de l’esclavage.

Le Suriname est un pays d’Amérique du Sud, dont les côtes bordent la mer des Caraïbes. C’est la raison pour laquelle, elle fait partie de la région Caraïbe, mais aussi de par son histoire et sa culture. Avec le Guyana qui est britannique et la Guyane qui est française, elle forme ce qu’on appelle le plateau des Guyanes.

Bonjour Nadini, comment vas-tu ?

Ça va super merci.

Merci d’avoir accepté de répondre à mon questionnaire. Je t’ai découverte lors de la création de ma page Histoire Caraïbe. Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Seedo Nadini, j’ai 23 ans. Je suis née sur le fleuve Suriname dans le district du Sipaliwini, plus exactement à Debike, à la clinique du « pays Saamaka »

J’ai grandi en Guyane française, j’y ai vécu de mes 2 ans à mes 19 ans. Aujourd’hui, je vis en région parisienne.
J’ai fait un Bac ES, puis j’ai intégré une L2 licence d’arts du spectacle.

Aujourd’hui, je fais un Bachelor en immobilier.

Quelle est la signification de ton prénom ?

Alors mon prénom n’a pas vraiment de signification, en tout cas pas chez moi. Mais il se trouve qu’en réalité, je m’appelle Nadine, et comme je suis née au village, celui-ci a tout simplement été écrit avec l’accent Saamaka. C’est un peu comme la Caroline qui devient Cawolinie, le Paul qui devient Pauloe..


Ainsi, je n’ai pas demandé une quelconque correction de Nadini, car je trouve ça original et ce prénom me rappelle tous les jours d’où je viens.

Tu es l’administratrice de la page Sabi boto, quelle est la genèse de ce compte ?

Ma page a été créée en 2018, et à l’époque je ne postais pas vraiment sur Instagram. J’étais davantage présente sur Facebook.. Et j’avoue que je voulais juste partager ma culture et mon histoire, car il n’y avait pas vraiment de réflexion derrière.

j’ai fini par supprimer le compte Facebook et j’ai tout recommencé sur Instagram. J’ai changé le nom en Sabiboto, celui-ci me vient du livre « Les Premiers Temps » de Richard Price.

Sabi Boto est le canot du savoir du clan Matyau. Mais personne ne l’aurait vu ou même aperçu dans son sillage.
Pour moi, ça me renvoie à notre histoire, car on ne la connaît pas vraiment, et elle tend à disparaître. Soit il n’y a pas de transmission, soit il y en a, mais alors très peu.

Aussi, il faut savoir que les sabimans « ceux qui savent » sont dans 99% des cas de vieux hommes. Et quand ils disparaissent, la connaissance disparaît aussi, puisque ces hommes n’écrivent pas de livre. La transmission est totalement orale.

À travers sabiboto, j’ai décidé de connaître et de comprendre mon histoire et ma culture. Apprendre ce dont on ne m’a jamais parlé, et je partage cela avec ma communauté. Je vise d’abord les jeunes bushinengué, car c’est un partage, mais aussi une transmission.

J’ai eu la chance de me rendre en Guyane Française il y a quelques années, mais je n’ai pas eu le temps de rencontrer le peuple Bushinengué.
Quelle est l’histoire de ces descendants de noirs marrons africains ?

Il existe plusieurs peuples de bushinengué en Guyane française. Les principaux groupes vivant en Guyane sont les Saamaka, les djuka, les aluku/boni, les paamaka. Ils sont tous des descendants d’esclaves qui ont fuit les plantations au Suriname.

L’histoire de leur présence en Guyane française est un peu différente pour chaque groupe. Pour les paamaka je ne connais pas vraiment l’histoire, mais avec les guerres entre marrons, entre marrons en colons, certains groupes se sont rapprochés de la Guyane. Les paamaka comme les alukus/ boni n’ont jamais eu la signature de traité de paix.

D’après ce que j’ai compris, les boni et les djuka qui s’étaient rapprochés de la Guyane, étaient en conflit. Après de nombreuses guerres entre les deux groupes, les boni ont conclu à l’abolition de l’esclavage en France, et de passer sous domination française. Ils sont devenus guyanais et français en 1860, à la signature du traité d’Albina.

Les Saamaka, eux sont arrivés en Guyane française pour la première fois en 1860, dans un tout autre contexte : lors de la ruée vers l’or. Au départ, ce sont principalement des hommes qui se sont installés près des fleuves Mana, Approuague et Sinnamary. C’est vers 1960 qu’il y aura une vraie immigration vers la Guyane, notamment avec la demande de manœuvre pour la construction du Centre spatial guyanais, mais aussi parce que la situation au Suriname était alarmante. En effet, Il y aura par ailleurs une forte immigration durant la guerre civile de 1986 à 1992.

Ce que tu dois retenir : Les Bushinengués est le nom qui est utilisé pour désigner l’ensemble des populations qui descendent d’esclaves africains du Suriname. Ces derniers avaient refusé de vivre dans la violence et dans l’asservissement. Ces hommes et ces femmes, ont alors préféré vivre clandestinement loin des horreurs de l’esclavage. La plupart ont fui les plantations et ont vécu dans les forêts où ils ont construit des villages au Suriname et en Guyane Française.

Quelle est ton histoire familiale ?

Ma famille est originaire du fleuve Suriname, nous sommes des Saamaka et nous parlons donc le Saamaka.
La transmission pour ma part a été très basique : la langue, quelques « coutumes » , à savoir la broderie, le tricot, le tressage et des gestes du quotidien comme la cuisine.

Je n’ai pas vraiment baigné dans la culture Saamaka.
C’est lorsque je suis partie au village à mes 11 ans avec ma grand-tante que j’ai eu la chance de vraiment découvrir la vraie culture Saamaka pour la première fois.

mon arrière grand père, je l’appelle Mr K. 
Il est «kabiten » et fait partie de l’administration politique et culturelle du village,  un chef coutumier.
Une photo de moi petite. Je ne sais pas vraiment quelle âge j’avais, mais il me semble
qu’elle a été prise à Montjoly en Guyane.

Comment préserves-tu et comment vis-tu ton héritage culturel au quotidien ?

Pour moi, elle se fait plutôt à travers la musique ou des vêtements traditionnels. J’ai toujours mon pagne brodé ou des pagnes simples dans mes affaires. Je ne les porte pas au quotidien, mais les posséder est très important pour moi.

Ensuite, quotidiennement j’écoute beaucoup la musique bushinengué, que ce soit des genres plus récents comme la trap ou des formes traditionnelles comme l’aléké, le seketi.

Cette photo de moi date de mon retour au pays (Guyane française Avril 2022) après 4 ans de vie ici.
Je voulais absolument porter une tenue traditionnelle. 
Ce pagne m’a été offert par ma grand mère après mon séjour à Paramaribo.
Je porte un pagne et un angisa autour de la taille.
 

Quel est ton plat bushinengué favori ?

Mon plat favori, je dirais le riz à la sauce gombo, un plat simple et réconfortant, mais qui me rapproche quand même pas mal de mes racines africaines.

La sauce gombo, est un plat local et très populaire qu’on retrouve à divers endroits en Afrique. Au Togo par exemple, c’est la spécialité du pays, et en Côte-D’ivoire, on l’accompagne d’une célèbre pâte qu’on appelle placali. Selon le pays et la région, il peut être préparé avec du poulet, du poisson ou encore du boeuf. Dans le cas des marrons du Suriname, ils ont réussi à préserver cette spécialité typiquement africaine.

Quel est l’artiste où la personnalité bushinengué qui t’inspire le plus ?

Je n’ai pas vraiment d’artistes ou de personnalités qui m’inspirent au quotidien. Mais je puisse mon inspiration sein de l’histoire de mes ancêtres.

Au-delà de ton compte Instagram, quelles sont les ressources que tu suggérerais pour en apprendre plus sur les Bushinengué ?

L’exposition « Marronnage, l’art de briser ses chaînes », qui est à la Maison de L’Amérique Latine à Paris jusqu’au mois de septembre.

Je vous conseille de lire les ouvrages de Richard et Sally Price, et de Jean Moomou.
Vous pouvez aussi trouver des films documentaires comme ceux de Karel Doing ou plus particulièrement « The stones Have Laws », qui est un documentaire qui nous plonge dans une communauté bushinengué du Suriname.

Si vous vous rendez en Guyane Française, je vous conseillerai de visiter le camp Saut Leodate à Kourou. Au Suriname, il y a également de nombreux camps pour une immersion dans les cultures bushinengué.

Je conseille aussi la page Saamakanengue qui partage exclusivement sur la culture Saamaka.

Quelles sont les prochaines actualités de Sabi Boto ?

En ce moment sabi boto est un peu laissé de côté, mais je réfléchis vraiment à faire de sabiboto un projet plus conséquent… à créer quelque chose de palpable…