Si l’on se réfère à ce que beaucoup pensent, les Antilles et la région Caraïbe, sont des endroits ou les populations sont exclusivement descendantes de populations africaines.

Alors, oui, une grande majorité des personnes d’origine caribéenne descendent d’esclaves africains. Puisque le nombre d’africains qui ont été déportés vers cette région du monde, est élevé, par rapport aux autres migrations humaines.

Mais général, on a souvent tendance à oublier que d’autres groupes humains sont arrivés avant ou après la présence des africains aux Antilles. De ce fait, très peu savent qu’il y a des communautés indiennes, chinoises, syriennes, libanaises, ou portugaises, dans les différents territoires de la caraïbe. Les gens n’ont pas conscience que le peuple caribéen est un mixte de toutes ces populations, qui ont été amenées à cohabiter ensemble.

Je vais donc vous parler aujourd’hui, de la communauté indienne qui représente aujourd’hui plusieurs communautés. À ce jour, on en retrouve beaucoup dans les différentes nations caribéennes : françaises, anglaises, néerlandaises, espagnoles…

Mais comment des indiens se sont retrouvés aux Antilles ?

L’histoire débute après l’abolition de l’esclavage en 1848, en Guadeloupe et Martinique. L’esclavage ayant été aboli, les anciens esclaves africains ont systématiquement refusé de travailler pour leurs anciens maîtres. Afin de compenser cette problématique, les autorités coloniales se sont donc tournées vers des populations étrangères.

Ils ont alors pensé à des africains dans la région du Congo (dont j’ai récemment écrit un article), des asiatiques dont des indiens et des européens comme des italiens, ou des portugais.

Le début des années 1850 est une période imminente pour les populations indiennes. Ils sont originaires de plusieurs régions du pays, comme Pondichéry, Calcutta ou encore Madras. Étant originaires de plusieurs états du pays, ils ne parlent pas tous la même langue. Certains s’expriment en tamoul, tandis que d’autres s’expriment en hindi, ourdou, ou en télougou. La majorité est issue de familles pauvres et font face à des réalités économiques et sociales de l’époque (famine, misère). Ils sont alors approchés par les colons, afin de faire le voyage vers les Amériques.

Indiennes de Martinique

La plupart ont pensé que c’était un moyen pour eux, de pouvoir se reconstruire une nouvelle vie et avec de meilleures conditions. Certains partiront de leur propre volonté, mais il parait que d’autres ont été forcés.

Ainsi, les premiers indiens arrivés (42 000 environ) en Guadeloupe débarquent à Pointe-à-Pitre le 24 décembre 1854. En Martinique, ils arriveront à partir du 6 mai 1853 dans la ville de Saint-Pierre (25 000 environ).

Ils sont donc arrivés avec des contrats de 5 ans, et ont travaillé de force dans les plantations de canne à sucre. Dès leur arrivée ils sont maltraités par les propriétaires blancs, et stigmatisés par la population noire locale. Beaucoup de termes négatifs (coolie, malaba…) ou d’expression négatifs (faible kon an koolie, koolie dalot…) sont donc apparus pour les désigner, et les unions inter-ethniques (avec les autres communautés) sont mal vus.

Le terme coolie voulait en réalité signifier, un travailleur agricole asiatique qui exerçait des travaux forcés, des travaux pénibles. Donc c’était un terme qui s’appliquait aussi bien aux indiens, qu’aux chinois par exemple.

Beaucoup d’indiens ne survivront pas à leur nouveau pays d’accueil, et beaucoup mourront d’épuisement, ou encore de maladie.

Aux Antilles françaises, il y a eu aussi un long travail afin que les indiens obtiennent la nationalité française en 1923. Sans le combat de certains militants indo-guadeloupéens, cette communauté aurait eu du mal à s’imposer.

Indiens de Guadeloupe

Par ailleurs, les indiens ont aussi contribué à des apports fondamentaux, dans les cultures et les identités caribéennes d’aujourd’hui. En effet, c’est grâce à cette population que la Guadeloupe et la Martinique ont pour plat local, le COLOMBO, c’est grâce à cette population que la Guadeloupe et la Martinique ont pour tissu traditionnel, le Madras.

Maintenant que cela fait des générations que les premiers indiens se sont installés aux Antilles, la majorité de leurs descendants sont nés et ont vécu aux Antilles. Pour celles et ceux qui sont ensuite partir s’installer en hexagone, beaucoup de leurs descendants se trouvent donc à Paris ou ailleurs dans le monde.

J’ai donc mené ma petite enquête, et j’ai rencontré 5 descendants d’indiens aux Antilles Françaises : 4 originaires de Guadeloupe et 1 originaire de Martinique. Je remercie alors Sabrina, Ariane, Jonathan, David et Stéphy de m’avoir fait confiance, et d’avoir accepté de partager leurs archives familiales, avec tous les récits qu’ils ont accompagnés.

Jonathan LAURENT

Je n’étais pas né lorsque mon grand-père Clément Kadikan Alamkan est décédé. Je ne l’ai donc connu que via le récit de mes cousines. Jamais ma mère ne m’a parlé de lui. J’ai comme l’impression que sa vie, son histoire a disparu avec lui.

Il s’appelait ALAMKAN, et mes arrières grands-parents indiens sont arrivés en Guadeloupe à la fin des années 1880. Nous avons toujours peu connu comment ils sont arrivés.

Ma cousine historienne nous a racontée que l’on pense que sa mère est arrivée par bateau. D’où en Inde, nous ne savons pas.

Les registres ne nous permettent pas de retrouver et de recoller les bouts de l’histoire. La difficulté de la langue n’a pas aidé, et le nom à l’origine était certainement Khan. Mais arrivé en Guadeloupe, en ne sachant pas s’exprimer en français, cela n’a pas aidé et les officiers ont modifié son nom Alam Khan en Alamkan.

Mon héritage indien a presque été perdu à cause de ça.

Sur cette photo, ce sont donc mes grands-parents maternels, dont mon grand-père. Ils habitaient la ville de Port-Louis (Nord Guadeloupe). J’ai connu sa femme ma grand-mère, mais elle ne parlait pas de lui.

Sabrina

Je sais que la famille de la mère de ma grand-mère maternelle venait de Calcutta et celle de son père de Pondichery. Sa grand-mère maternelle s’appelait Doumang, mais sa fille (la mère de ma grand-mère) avait un prénom dit « chrétien » Albertine.

Selon ma grand-mère, elle a été élevée avec deux religions : l’hindouisme et le catholicisme, en accord avec ses parents qui sont issus de ces religions. Ma grand-mère avait 8 ans, lorsque sa mère est décédée brutalement, à la suite de mauvais traitements. Elle a donc été placée dans une famille adoptive, ou elle a également subi des mauvais traitements.

À l’âge de 17 ans, elle rencontre mon grand-père qui est donc afro-descendant (noir), et les malheurs ont continué. La famille de mon grand-père ne l’a pas accepté (pour eux, c’est une trahison, une ignominie de se mêler aux indiens. Je parle au présent, car c’est toujours le cas). Ma mère m’a raconté qu’il arrivait qu’elle et ses frères et sœurs croisaient leurs grands-parents paternels dans la rue, et ces derniers changeaient de trottoir et ne leur a ont très rarement montré un signe d’affection.


Ma grand-mère m’a appris un peu le tamoul et le hindi à travers les films indiens que l’on regardait ensemble et que je regarde toujours. Elle a aussi donné un prénom indien à ma fille.

La grand-mère de Sabrina, qui s’appelait Julienne. La famille est originaire de Capesterre-Belle-Eau (Sud Guadeloupe)

Ariane

J’ai vécu avec ma grand-mère les premiers mois de ma vie. Puis, régulièrement, je retournais en vacances me ressourcer à ses côtés.

Couturière émérite, elle passait de longues heures à coudre pour une clientèle fidèle. Enfant, je m’asseyais par terre et récupérais les chutes de tissus pour confectionner des vêtements pour mes poupées. Une habitude que j’ai conservé à l’adolescence mais cette fois avec le catalogue Quelle ou les 3 suisses pour choisir mes futures tenues faites sur mesure. À l’âge adulte, c’est ici que nous avions de longues conversations et que j’en appris plus sur mes origines.

Ma grand-mère s’appellait Laurette, elle est née à Saint-Claude en Guadeloupe dans les années 40. Son père est indo-descendant et sa mère afro-descendante. Sa famille paternelle quitta Pondichéry pour faire la traversée par bateau et rejoindre la région fraîche et verdoyante de Matouba en Guadeloupe en 1868.

Déconnectée de la culture indienne pendant de longues années, ma grand-mère s’y intéressera tardivement et finira par se passionner pour son héritage culturel riche. Elle s’est alors consacré à la vie associative, et a participé à des manifestations culturelles, dont elle assumait avec fierté son indianité.

J’ai hérité d’elle ce sentiment ambivalent : l’Inde vibre en nous, mais la Guadeloupe est notre ancrage, c’est peyi an nou !

Nous n’avons pas eu le temps de réaliser son rêve de faire le voyage à Pondichéry, ma mère, elle et moi. Peut-être que j’irai un jour fouler le sol indien, je sais qu’elle sera là comme à chaque grand moment de ma vie. Notre lien continue de perdurer même après sa mort. Je suis intimement convaincue que de là où elle est, elle conspire pour mon bien et me guide au quotidien.

Laurette, la grand-mère d’Ariane

Stéphy

Le grand-père paternel de ma mère ainsi que les parents de ses grands-parents maternels venaient d’Inde.

J’ai connu la maman de ma grand-mère maternelle, mais elle est décédée quand j’avais 12 ans. À cette époque, je ne m’intéressais pas du tout à mes racines, je ne m’interrogeais même pas sur la richesse de celle-ci… alors tout ce que je sais d’elle, je le sais de ma mère. Ma grand-mère maternelle étant très pudique sur le sujet…

De ma mère, je sais donc que mon arrière-grand-mère menait une vie de femme au foyer, avec beaucoup d’enfants à gérer, mais chez qui l’entretien de la culture indienne était quasi inexistante …

De ma mère, je sais également que le père de son père, un homme très aisé mais également très cruel, est arrivé en Guadeloupe avec l’objectif d’acquérir des terres et de les faire cultiver (ce qu’il a fait jusqu’à sa mort). Chez lui non plus la culture indienne n’a pas été transmise …

Malheureusement, je n’ai jamais entendu parler d’anecdote concernant leur arrivée en Guadeloupe… comme si tout ce qui a précédé la Guadeloupe n’avait jamais existé.

Sur cette photo, voici le père de mon grand-père maternel André-François Kissoun qui est arrivé enfant en Guadeloupe par bateau. À coté, son épouse mon arrière-arrière-grand-mère Andrée Tabar qui était une noire.

David

Ma grand-mère paternelle s’appellait Gilberte VENKATAPEN, qui en fait se prénommait Léa, que j’appelais « Mamie Léa » mais que tout le monde appelait « Man Léa ». « Tout le monde » ce sont les habitants du bourg de Sainte-Marie, petite commune du nord de la Martinique.

Ma grand-mère est née le 1er septembre 1911 à Sainte-Marie, ses parents Marie Valiame et Joseph Venkatapen sont également nés à Sainte-Marie. Mes arrière-grands-parents sont arrivés en Martinique par les bateaux venant de l’Inde à partir de 1853 (je n’ai pas de dates exactes) pour travailler dans les champs et remplacer les esclaves libérés quelques années plus tôt.

Je viens donc d’une lignée d’Indiennes et d’Indiens, appelés plus communément « Coolies » en Martinique… En arrivant en Martinique vers 8 ou 9 ans je découvre donc le terme, mais aussi que ma mère est afro-descendante et donc pas d’ascendance indienne. Je suis donc un « chapé coolie »…

Si la culture indienne a toujours été présente dans mon quotidien et celui de mes sœurs par ce que nous assistions parfois à des cérémonies ou des fêtes indiennes, nous avons été majoritairement éduqués dans la religion catholique même si l’hindouisme était tout de même présent. C’est donc surtout d’un point de vue culinaire que l’Inde était présente et notamment avec l’incontournable colombo (que ma mamie appelait « Colbou ») et qui maintenant est cuisiné par mon papa.

Ma grand-mère est décédée quand j’avais 15 ans, je n’ai donc pas eu énormément de souvenirs avec elle, mais elle est importante pour moi, parce qu’elle fait partie de mon histoire et aussi de ma culture.

Gilberte, la grand-mère de David.

Aujourd’hui, que ce soit en Guadeloupe ou en Martinique, les populations indiennes perpétuent toujours les coutumes et les traditions de leurs aieux.

Des temples ont été construits, et ce sont à ces endroits qu’a lieu les célèbres traditionnelles cérémonies des ancêtres. Il y a également un mémorial dédié à l’histoire indienne en Guadeloupe (dans la ville de Saint-François). Ainsi, chaque année, les deux iles commémorent l’arrivée des premiers indiens.

Je vous partage en même temps, un mini documentaire de la série « carnet de voyage » sur Arte. On y parle d’Henry Sidambarom, le guadeloupéen avocat qui s’est battu pour que les indiens obtiennent la nationalité française en 1923.

2 réponses à « 5 descendants de travailleurs indiens engagées de Guadeloupe et de Martinique »

  1. Bonjour,
    Je suis martiniquaise d’origine indienne, j’ai réussi, à force de faire des recherches, à trouver l’année où mes ancêtres indiens sont arrivés en Martinique et avec quel bateau. Si tu souhaites, je pourrais apporter un témoignage supplémentaire afin que d’autres personnes puissent accéder à ces informations.
    Et au passage, merci pour ce travail que tu as fait et que tu continues de faire. Cela permet de comprendre beaucoup mieux les Antilles mais aussi de se rendre compte que des situations que l’on a vécu personnellement, tel que le coloristme, ne sont pas le fruit de notre imagination et sont bien réelles.
    Encore merci pour ton travail!
    Anasthasia

    Aimé par 1 personne

    1. Bonsoir Anasthasia,

      Merci pour ton message! Effectivement, de nombreuses expériences que nous avons vécu, sont tout simplement les conséquences de notre histoire.

      Si tu souhaites partager un témoignage, c’est avec plaisir. Tu peux m’écrire directement sur Instagram.

      Bien à toi, 🌹

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